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Reflets du Cosmos dans l'encrier...

Réflexions, pensées, contes, nouvelles et romans...

D’Altaïra à Ryan Stone, petite histoire des héroïnes de l’espace dans la pop culture

D’Altaïra à Ryan Stone, petite histoire des héroïnes de l’espace dans la pop culture

Dans les années 60, les films et séries de science-fiction n’étaient pas légion à la télévision française. En fait, il y avait presque plus de chances d’émerveillement, pour les amateurs d’aventures spatiales, à suivre de près l’épopée d’Apollo qu’à espérer l’hypothétique diffusion d’une œuvre cinématographique ou télévisuelle.

C’est dire à quel point au moins deux générations ont dû faire appel à leur imagination pour se fabriquer des images mentales e n illustration des romans de SF. Ce n’est d’ailleurs pas si mal : ceux qui sont passés par là savent le bonheur qu’il y a à «se faire un film» à partir de la prose d’un auteur de talent…

Le gros bémol, dans l’affaire, c’est qu’en y regardant de plus près, les rares films et séries de l’époque étaient tout de même sacrément adeptes des personnages stéréotypés.

Prenons par exemple «Planète Interdite» (Forbidden Planet en VO), excellent (cultissime, devrais-je dire) film de Fred Mc Leod, datant de 1956. Je l’ai découvert, pour ma part, en noir et blanc, au format timbre poste, sur l’écran de la télévision familiale, alors que je devais être âgée d’une dizaine d’années.

Passons sur la genèse du film, sur les sources d’inspirations Shakespeariennes de son auteur, et intéressons-nous aux personnages.

À bord du croiseur C-57D, le Commandant John Adams était à la tête d’un équipage entièrement masculin parti au secours d’un vaisseau d’exploration dont la Terre a perdu la trace depuis 19 ans. On comprend assez rapidement que, parmi les passagers du vaisseau perdu, figuraient sans aucun doute un certain nombre de femmes (ce qui ferait donc plutôt du «Bellérophon» un vaisseau de colonisation) mais la disparition prématurée de la quasi totalité de l’équipage a réglé le problème. En fait, le C-57D a tout du sous-marin : univers clos, en plongée dans l’espace pendant une mission d’une durée non-négligeable malgré l’invention d’un moyen de propulsion capable d’atteindre la vitesse de la lumière, interdiction de l’alcool à bord, cambuse militaire, personnages typiques… Bref, nous ne sommes pas dans «Opération jupons».

Pour autant, il y avait bien une femme dans ce film : Altaïra, la fille du dernier survivant de l’équipage du «Bellérophon», incarnée par Anne Francis, qui remplit parfaitement son rôle de ravissant et innocent faire-valoir tombant inéluctablement sous le charme du Commandant du croiseur de sauvetage. Pas d’acte de bravoure à attendre de la demoiselle, ni de participation à l’intrigue sous une autre forme que celle attendue pour un personnage féminin en 1956 : parfaite maîtresse de maison, hôtesse attentive ordonnant au robot de service de soigner l’accueil réservé aux visiteurs, et dont le centre d’intérêt principal (après l’étonnement de découvrir que le genre masculin ne se résumait pas à son père) semblait être d’ordre purement vestimentaire.

On pourrait décortiquer bien d’autres films des années 50 à la recherche d’une héroïne spatiale, sans grand succès, et ce n’était guère mieux dans les années 60.

En cela, on pourrait presque considérer que la série Star Trek fut à elle seule, et quasiment dès le premier épisode en 1966, un petite révolution : il y avait des femmes à bord, et elles ne se contentaient pas de faire de la figuration, même si elles restaient encore sagement dans un rôle un peu secondaire. Il est tout de même important de noter qu’il fallut attendre jusqu’en 1986 pour que soit diffusé le premier épisode de la série en France… En matière de modèle féminin, on ne peut donc pas dire que Star Trek a pu contribuer à la construction de l’identité des femmes de la génération X dans notre pays.

Mais tout de même, la série était innovante pour l’époque. Michelle Nichols, alias le Lieutenant Nyota Uhura, cumulait les singularités : femme afro-américaine, elle occupait le poste non-négligeable d’officier des communications. Quant à Majel Barrett, si elle n’avait pas le premier rôle au centre médical en incarnant l’infirmière Christine Chapel, elle avait tout de même joué le rôle du second du commandant de bord dans le pilote de la série. Il est à noter que le rôle de l’infirmière a été créé sur mesures pour elle pour la simple raison qu’elle était l’épouse du réalisateur, et que les responsables de la chaîne NBC n’avaient validé la poursuite de la série qu’à la condition que le second ne soit pas une femme, car ce n’était clairement pas réaliste, ni même envisageable…

Des femmes à la communication et dans les soins : voilà qui collait bien à l’époque en termes de stéréotypes, mais c’était mieux que rien. L’intérêt de cette première incursion des femmes dans un domaine jusque-là réservé aux hommes, ce sont les conséquences à long terme, et là, nous sommes servis.

Mae Jemison, première femme afro-américaine à aller dans l’espace, a souvent raconté comment, frustrée de ne voir aucune femme participer au programme Apollo, elle a cependant été inspirée par le personnage du Lieutenant Uhura, au point d’user d’une citation extraite de Star Trek en commençant son quart de travail à bord du Spacelab : «Hailing frequencies open», expression par laquelle Uhura répondait lorsque le Capitaine Kirk lui donnait l’ordre d’ouvrir les fréquences d’appel. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait été, en 1993, la première «vraie» astronaute à apparaître dans la série Star Trek : The Next Generation.

Mae Jemison, à bord du Spacelab et à bord de l'Enterprise...

Certes, entre temps, du côté de la bande dessinée, on avait vu surgir Barbarella. Peu de chance, à l’époque, que le personnage ait pu inspirer les petites filles, l’œuvre ayant été qualifiée de «première BD pour adultes», et ce n’était pas l’adaptation tournée en 1968 par Roger Vadim avec Jane Fonda dans le rôle titre qui allait changer la donne. Toutefois, Jean-Claude Forest a toujours considéré que le personnage auquel il a donné vie incarnait «la femme moderne à l’heure de la libération sexuelle». Pas faux. Parallèlement, en 1967, Laureline faisait son apparition au côté de Valérian, et là, il y avait du nouveau ! Enfin une fille héroïne d’une histoire de SF ayant de la personnalité, une caractère fort, et qui remplissait des missions compliquées et dangereuses avec intrépidité, sans jamais tomber dans le poncif du

garçon manqué. Bref, une vraie nana de la génération X, «ayant réussi l’amalgame de l’autorité et du charme», chanterait Michel Sardou, qui a véritablement fait office de modèle pour toutes les filles qui rêvaient d’espace dans les années 60/70. Faute de modèle réel, les femmes n’ayant intégré les rangs des astronautes de façon pérenne qu’en 1978, Laureline a influencé plus d’une lectrice de BD. Toujours dans la BD, dès 1972,

Yoko Tsuno brisait tous les tabous des années 70. Pilote, ingénieur en électronique, la jeune héroïne était en avance sur l’époque : même aujourd’hui, elle pourrait servir de modèle à toutes les filles qui s’autoexcluent des filières scientifiques en s’éloignant des mathématiques dès la classe de première…

 

C’est en décembre 1975 qu’un ovni télévisuel débarqua en France, porteur à la fois de stéréotypes, mais également d’innovations : Cosmos 1999 venait d’apparaître sur les écrans, avec son esthétique aujourd'hui très «rétro futuriste» fortement marquée par le design italien des années 70 et son histoire à la fois invraisemblable et rendue tellement crédible par le talent des maquettistes.

Cosmos 1999

Le principal stéréotype, dans cette histoire, c’est l’absence de femmes parmi les ceux que l’on qualifie «d’astronautes» dans la série, qui sont en fait des pilotes, reconnaissables à la manche orangée de leur tenue. La nuance est importante : sur la Lune, en 1999, au sein de la base Alpha, il y avait d’un côté les astronautes, vaillants explorateurs inoxydables, et les autres, chercheurs, informaticiens et consorts, au caractère nettement moins héroïque, presque ordinaire, comme une reproduction de la société humaine sur la Lune. Pas une seule manche orange féminine tout au long des deux saisons. Il n’y en avait pas davantage parmi les officiers de sécurité, reconnaissables à leur manche violette et leur baudrier. A posteriori, il est intéressant de noter que cela n’avait provoqué aucun étonnement à l’époque. C’était dans l’ordre des choses.

Rien d’original du côté des communications : Sandra Benes, incarnée par Ziena Merton,

Sandra Benes

reprenait plus ou moins un rôle assez équivalent à celui du Lieutenant Uhura, à ceci près qu’elle secondait le responsable du centre de commandes. Il est intéressant de noter que le personnage de Sandra représentait une forme de transmission intergénérationnelle, ou de prédestination, puisque son père, dans la série, était l’inventeur du système de transmission interstellaire en usage sur la base. Cela s’appelle marcher dans les pas de son père.

L’innovation était plutôt du côté du centre médical. À l’inverse de Star Trek, qui avait cantonné les femmes dans des rôles d’infirmières, une femme était aux commandes de l’infirmerie. Pas sûr que le jeu d’actrice un peu figé et convenu de Barbara Bain ait suscité des vocations d’exploratrices interplanétaires chez les filles, mais au moins, le Docteur Helena Russel était à la fois médecin chef (chirurgien sans doute puisqu’elle opère à plusieurs reprises tout au long de la série) et avait sous ses ordres toute une équipe médicale aux profils variés, parmi lesquels un certain nombre d’hommes ayant le statut d’infirmiers ou d’aides-soignants. Au delà de sa blondeur relativement glacée, il y avait quelque chose d’assez intéressant dans ce personnage, doté d’une forte empathie et empreint d’une grande humanité.

Plus globalement, mis à part ces quelques traces de stéréotypes, l’intérêt principal de la série était de ne pas s’adresser à un public spécifique, et de ce point de vue, c’était une réussite : il y en avait pour tout le monde.

Et puis, en 1979, avec Alien, et à bord du Nostromo, on découvrait l’un des rôles féminins les plus cultes de la SF, celui du Lieutenant Ellen Ripley. Nul doute que l’envergure du personnage doit énormément à Sigourney Weaver. À l’aube des années 80, elle a poussé le caractère courageux de l’héroïne au-delà des limites qui étaient généralement fixées aux rôles féminins. Ripley était une battante, intelligente, pleine d’assurance, capable de répondre vertement (presque grossièrement) à ses compagnons de (més)aventure loin de la potiche féminine des films des années 50/60.

Ellen Ripley & Jonesy

Ripley incarnait la suite logique des choses. Inconsciemment (ou pas), Ridley Scott a traduit la réalité : pour seulement parvenir à obtenir la reconnaissance de leur compétence, les femmes, dans les années 80, devaient surpasser les hommes sur leur propre terrain de chasse.

Ryan Stone

Enfin, en 2013, Gravity apportait une vision quasi réaliste de l’héroïne de l’exploration spatiale en la personne de Ryan Stone, sous les traits de Sandra Bullock. Certes, toute l’histoire ne repose que sur une succession de catastrophes engendrées par un tir de missile sur un satellite, mais l’actualité a démontré, à l’automne dernier, que cette hypothèse n’était pas aussi invraisemblable que certains avaient pu le prétendre. La nuance, dans tout cela, c’est que Ryan Stone, tout en réussissant à se sortir seule de cette situation épouvantable, répond quelque part assez bien aux attentes assez stéréotypées que certains gardent encore pour un personnage féminin. Elle est astronaute, certes, mais scientifique, surtout pas pilote expérimentée, et passe par toute la gamme des émotions (peur, affolement, abattement…) qu’on ne ferait jamais traverser à un personnage masculin. Elle n’est en fait qu’un membre de l’équipage de la navette spatiale, dont le commandant est bien entendu un homme auquel, quelque part, Stone devra son salut, puisque l’idée qui la sauvera lui est suggérée, dans une sorte d’hallucination, par l’image quasi-onirique de cet homme.

En conclusion, on constate tout de même que toutes ces héroïnes de films ou de bandes dessinées de science-fiction ayant trait à l’exploration de l’espace ont, d’une façon ou d’une autre, soit contribué à l’inspiration des plus jeunes en leur offrant un modèle valorisant, soit été représentatives du statut social des femmes à l’époque où leur histoire a été imaginée.

Quelles seront les prochaines héroïnes ?

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