22 Mai 2023
Dans les années 70, nous avons vu toute une ribambelle d’auteurs-compositeurs-interprètes soudain surgir dans les émissions de variété qui faisaient les beaux samedis soirs de toute une génération. À l’époque, et parce que la nature des médias est telle qu’il leur faut à toute force coller une étiquette sur ceux qui ont l’honneur d’être dans leur viseur, cette petite bande pas très organisée avait été réunie sous la jolie bannière générale de «Nouvelle Chanson Française». Nous avions, en vrac, Jean-Michel Caradec, Alain Souchon, Michel Jonasz, Nicolas Peyrac, William Sheller (beaucoup d’hommes, n’est-ce pas ?) ; ajoutons au passage Marie-Paule Belle pour tenter de rétablir un peu l’équilibre, et n’oublions pas ceux qui, bien qu’ayant commencé plus tôt leur parcours musical, se sont un peu intégrés à cette catégorie, à savoir Julien Clerc et Michel Fugain, ainsi que celui qui s’est fait remarquer par sa complémentarité avec l’un des précédents, Laurent Voulzy.
Évidemment, la liste est incomplète, et ce n’est pas un oubli de ma part, mais juste un effet de l’envie de mettre un peu plus en lumière celui que je n’ai pas encore cité ici.
Voilà un peu plus de 50 ans que les chansons d’Yves Duteil accompagnent mon chemin, jalonnent mes souvenirs, comme autant de petites pierres blanches, de bornes kilométriques mémorielles, et l’événement méritait d’être célébré.
Ce fut le cas vendredi soir, aux Folies Bergère, et le plus surprenant, dans tout cela, fut de voir comment les fidèles se sont rassemblés, venus de tout le pays et même du delà de nos frontières, sans battage médiatique outrancier pour annoncer cette soirée, juste pour être au bon endroit au bon moment et partager deux heures de grâce absolue, comme une parenthèse suspendue.
Il n’y a pas si longtemps de cela, un de mes amis qui se reconnaîtra s’il lit ces lignes, a reconnu, un peu surpris, après que je lui ai partagé une vidéo d’une chanson récente d’Yves Duteil : «En effet, il est bien différent du gentil chevelu de ma jeunesse ! Mais il a gardé sa voix». C’est peut-être d’ailleurs ce qui est le plus fascinant, et que les spectateurs des Folies Bergère ont pu vérifier en direct, la voix est intacte. En fermant les yeux dès l’ouverture, en entendant «L’Écritoire», on aurait pu s’y tromper : il n’y a même pas un demi-ton de différence avec la voix du jeune homme qui avait surgi sur nos écrans à l’automne 1972.
Ceux qui étaient les plus proches de la scène ont pu vérifier que le regard non plus n’a pas changé. Il est bien toujours là, ce jeune homme qui écrivait, penché sur son écritoire, et il écrit toujours, pour le plus grand bonheur de ceux qui font fi des modes et lui ont accordé leur confiance sur sa bonne mine, sans se douter de l’étendue de son talent alors à peine éclos. Si les cheveux sont blancs, le sourire est toujours le même, et la virtuosité à la guitare ou au piano demeure…
Le plus surprenant sans doute, pour ceux qui se sont trouvés là un peu par hasard, simplement parce qu’ils avaient une soirée à occuper pendant le long week-end de l’Ascension, et qui étaient un peu restés dans une bulle temporelle, coincés sur un petit pont de bois, a dû être de constater que l’homme mûr d’aujourd’hui, s’il a évolué dans son style d’écriture et son inspiration musicale, n’a à aucun moment renié ou trahi celui qu’il était autrefois sans pour autant s’auto-plagier. Du grand art. Être tout à la fois l’auteur assumé de «Un lilas pour Eulalie» et «La chanson des justes», résume en une sorte de grand écart ces cinquante années de labeur.
Nous avons vécu deux heures magnifiques, rythmées, délicates, remplies d’une formidable émotion partagée, y compris par les trois musiciens présents sur scène. «Virages», cette étonnante chanson qui nous transporte littéralement sur une route sinueuse est toujours l’occasion de souligner leur talent dans une version qui fait la part belle à chaque instrument.
L’émotion était sur scène, perceptible, mais aussi et surtout dans la salle, et s’il fallait résumer tout cela en un mot, ce ne pourrait être que par «Merci»… «Merci d’être toujours là», cette phrase pouvant tout à la fois avoir été prononcée sur scène, ou dans la salle…
Pour ceux qui auraient raté ce bel évènement, il reste toujours la possibilité de lire et d’écouter «Chemin d’écriture», extraordinaire intégrale (provisoire, bien sûr…) rassemblant plus de 200 textes de chansons commentés dans un livre, et 370 enregistrements dont 90 inédits accompagnés de rééditions de titres anciens indisponibles jusqu’à ce jour dans un merveilleux coffret.
Et puis, pour se rattraper, il y aura encore les concerts à venir en province… ou même de nouveau à Paris.
À suivre…
La bande originale du jour, c'est ici.